COMMUNE DE ZUTKERQUE

La baronne de Draëck

ou la Diane du Brédenarde

Podcast « La Dame aux loups » – Archives départementales
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Aux confins de l’Artois, entre Tournehem et Audruicq, s’insère une petite région qui s’intitule  » le Brédenarde « . Ce nom flamand s’applique parfaitement à cette contrée : paysage mélancolique, boisé et marécageux, il est la transition. entre les hauts plateaux d’Artois et la faible altitude de la Flandre.

Le Brédenarde est ainsi donc un refuge où l’on y découvre des paysages variés ; la culture s’y est très développée depuis le XVIIIè siècle, grâce notamment aux canaux et watergangs qui donnent un charme discret ; de multitudes de bosquets, derniers vestiges d’anciennes forêts défrichées aux XVIIIè et XIXè siècles. Et enfin, un paysage verdoyant où nichent les quelques villages et hameaux, annoncés par leur clocher quand on les aperçoit de loin !
C’est dans ce cadre très accueillant où Maupassant aurait pu écrire ses contes que Marie-Cécile-Charlotte de Laurétan, future baronne De Draëk, vécut la majeure partie de sa vie.
Fille de Philippe-François de Laurétan et de Marie-Anne Françoise de Moncheron, Marie-Cécile-Charlotte de Laurétan naquit au château de Zutkerque en plein été, le 17 août 1747.
La famille de son père était bien connue dans le pays où elle compta trois grand-baillis héréditaires d’Audruicq. Aussi, le premier Maire de St-Omer qu’on appelait  » le Chevalier de Laurétan  » était un de ses proches parents.
Dès sa plus jeune enfance, elle aimait courir les pâturages et les prés à la recherche de gibiers , parfois elle accompagnait un de ses oncles pour la chasse, ce qui n’enchantait guère ses parents qui auraient préféré lavoir étudier ou s’occuper à des tâches plus féminines que de s’adonner à la passion de la chasse !
C’est pour son bien que ses parents la mirent en pension au couvent des Ursulines à St- Omer ; malheureusement notre

Portrait de la baronne de Draëck

pensionnaire passait plus de temps à chasser les rats qui pullulaient dans l’établissement qu’à suivre ses études. Avec l’aide d’un gourdin, à la grande surprise des Ursulines et de ses consœurs de pension, elle s’amusait à poursuivre les petits rongeurs en  » bouleversant les meubles dans une poursuite sans merci « . Bien que l’on essayait de la raisonner pour qu’elle se comporte comme une grande et noble demoiselle de son rang elle agissait en vrai garçon manqué En quittant le pensionnat, sans l’avis de ses parents (elle avait l’âge de la maturité), elle délaissa ses vêtements féminins qu’elle répugnait à porter pour ne plus endosser que des vêtements masculins et elle se coupa les cheveux.
Ce portrait nous est connu par la description que nous donne un biographe dont le nom n’a pas été retenu.
 » Cette femme remarquable n’avait pas le caractère approprié à son sexe, elle n’en avait pas non plus la structure : d’une taille moyenne, sa figure, ordinaire pour un homme, était rien moins que belle pour une femme ; avec une barbe d’adolescent, pas de gorge et un ventre, proéminent, elle eût été ridicule sous un costume féminin « .
Les habitants du Brédenarde s’habituèrent donc à la voir passer en  » veste de chasse, en culotte et en bottes, le fusil à l’épaule et un chien sur les talons « .


Marie-Cécile-Charlotte de Laurétan passait plus de temps à chasser les rats qui pullulaient l’établissement qu’à suivre ses études…
La « Diane du Brédenarde » à cheval


Néanmoins, son emploi du temps fut uniquement consacré à son sport favori, la chasse !
Les dimanches et jours de fête, pour se rendre à l’église de Zutkerque, elle revêtait, par-dessus ses vêtements de chasse masculins, une jupe qu’elle mettait dans son vestiaire au moment de partir et qu’elle se hâtait de retirer sitôt rentrée.
Ses parents décidèrent de la marier, comme c’était de coutume dans ces familles nobles, au Baron de Draëk, seigneur d’Oudezeele, dans les environs de Cassel.
Notre demoiselle ne fut pas réticente à l’égard de son futur époux qui lui promit de ne pas contrarier ses volontés et ses goûts de chasse ; aussi, était-il raconté que le Baron de Draëk éprouvait un certain orgueil d’avoir  » une femme si différente de toutes les autres et unique en son genre « .
Le jour du mariage, le curé de la paroisse eut beaucoup de peine à décider notre jeune mariée à revêtir une robe pour se rendre à la cérémonie. Le pauvre prêtre ne pouvait tout de même pas unir  » deux personnes portant l’une et l’autre le costume masculin !  » Celle-ci s’inclina, retourna au château pour revenir avec la fameuse robe pour la cérémonie tout en gardant ses habits d’homme sur elle  » en sorte que, dit son biographe, cet accoutrement mi-partie des deux sexes ressemblait plutôt à une mascarade de carnaval « . Malgré cet incident vestimentaire, elle reçut enfin la bénédiction nuptiale et devint Madame la Baronne de Draëk.
Mais malheureusement, au bout d’un certain temps, les relations du couple s’effritèrent. Malgré leur commune passion pour la chasse, le Baron de Draëk reprocha à sa femme de ne pas s’attacher à la vie familiale et regretta de n’avoir pas d’enfant ; de plus, il ne pouvait plus en supporter les excentricités! Ils finirent donc par se séparer au terme d’un commun accord à l’amiable dans lequel notre Baron, retourné en son château d’Oudezeele, pouvait rendre visite à son épouse qui réintégra le château de Zutkerque.
Cette grande demeure encore existante nous est écrite dans le  » Dictionnaire des châteaux d’Artois  » édité chez Berger-Levrault

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Le château de Draëk à Zutkerque.

 » Une grille limitée par deux pylônes de pierre sommés dune boule permet d’entrer dans cette propriété ; au fond s’élève le château, une longue construction réalisée en brique et pierre de 1727, formant des bandes alternées, mais l’ensemble a été blanchi. A chacun de ses deux niveaux, la façade principale aligne dix fenêtres légèrement cintrées et la porte médiane est surmontée d’un cadran solaire ; sept lucarnes s’accrochent à la toiture à la Mansart, l’autre façade est beaucoup plus austère puisqu’elle n’est éclairée qu’à ses deux extrémités. Sur le côté, à gauche, subsiste un petit pigeonnier carré construit lui aussi en rangées alternées de brique et de pierre « .

Portail et pigeonnier du château de Zutkerque actuellement.

A la tête d’une grosse fortune, libre et riche, notre baronne commençait à s’adonner à la chasse sans que personne ne vint plus l’importuner.
Dans son habitation de Zutkerque  » tout y démontrait le goût de la châtelaine ; on voyait les appartements, cuisine, salle à manger, le salon même encombrés et tapissés de fusils, carabines, pistolets, sabres, couteaux de chasse, fouets et cravaches, cors de chasse, couples pour les chiens, têtes et bois de cerf, chevreuils, loups, sangliers, renards et blaireaux « .
Lorsque Madame de Draëk se fit valoir pour la chasse, son personnel et les villageois la supplièrent de traquer et de tuer un des plus redoutables carnassiers de l’époque : le loup !
Cet animal qui peuplait les bois et infestait les campagnes jusqu’au début du XIXè siècle, était méprise par les habitants des contrées de France. Avant que la Baronne de Draëk ne s’occupa de les exterminer en Artois et en Flandre, des textes du XVè siècle nous apprennent que la ville de St-Omer payait une prime aux personnes qui avaient capturé un loup ; ceux-ci, en bande, infestaient les bois des Bruyères, de Longuenesse, de Clairmarais et de Wisques.

A l’époque de notre chasseresse, vers la fin du XVIIIè siècle, les forêts d’Eperlecques et de Tournehem, les plus proches de Zutkerque, étaient peuplées de ces redoutables carnassiers. Comme cela est écrit plus haut, à la demande des plaignants, notre Baronne chassa le loup et réussit à en abattre plusieurs. Passionnée par cette chasse féroce et en même temps utile, elle ne tarda pas à s’y spécialiser en se dotant d’un équipage de chasse le plus complet. Celui-ci était composé essentiellement d’une meute de quarante chiens et du personnel accompagnant. Ce fut donc à ce moment qu’elle se lança dans cette aventure ; elle passait ses journées à tuer les loups. Cette action était appréciée par la population.

Un contemporain de l’époque rapportait  » que l’on revenait au logis avec deux loups, un autre jour avec quatre ou cinq ; enfin, il était rare qu’un seul jour se passât sans que la chasse ne fut heureuse ; alors tous, Madame de Draëk en tête, passaient à travers la ville ou la commune la plus voisine en sonnant du cor de chasse et toute la population accourait en foule voir les loups et aussi l’amazone qui était en tête des chasseurs. Au relais de St-Omer, la place était recouverte de curieux qui contemplaient les animaux féroces.
De l’Audomarois, elle rejoignit la région d’Arras, à Ablain St-Nazaire où elle possédait une gentilhommière, près de la magnifique église gothique, aujourd’hui détruite depuis la première Guerre Mondiale. Chaque année, elle s’y rendait pour la période de la chasse réservée exclusivement à la chasse aux loups.
Les bergers de la contrée, en reconnaissance de ses exploits, lui dédièrent une chanson qu’ils avaient composée pour elle :

Paissez en paix mes chers moutons,
Bêlez ! Bondissez sur l’herbette,
Le loup cruel dans ces cantons,
Ne peut plus avoir de retraite.
Écoutez-moi, gentil troupeau !
Pour prouver ma reconnaissance,
Je chante sur le chalumeau
L’auteur de notre délivrance ;
Je veux vous apprendre son nom,
De Draëk est notre bienfaitrice,
Il faut que dans tous ces vallons
l’Écho toujours en retentisse, etc, etc…

Les régions du Ternois, de Flandre maritime ainsi que le Douaisis dont les territoires possédaient une grande superficie boisée furent aussi purgées de ces carnassiers ; cette machine infernale à les exterminer avait envoûtée la Baronne de Draëk
qui s’acharnait à les faire disparaître jusqu’au dernier. On racontait  » qu’au bout de six semaines de chasse, et après avoir battu toits les joins de la région hantés par les loups, l’infatigable maîtresse d’équipage qu’était la  » Diane du Brédenarde « , rentra chez elle avec vingt et une têtes de loups sur l’impériale de sa voiture « .
Quand la révolution survint, la tuerie des loups était de temps en temps stoppée car la Baronne de Draëk revenait au château de Zutkerque pour s’occuper de ses affaires personnelles.
Suspectée par les autorités administratives en raison de son appartenance à la noblesse les habitants du Brédenarde mirent  » un frein  » aux tracasseries des autorités. Sa réputation d’être une intrépide chasseresse de loups, lui fut utile ; en effet, beaucoup de municipalités la réclamèrent (Desvres, en particulier) pour avoir son concours pour la destruction de loups. C’est ce qu’explique la délibération du ler Messidor An IV à Desvres
 » Le conseil, constatant que la forêt de Desvres est infestée de loups, décide de demander à la citoyenne Dracke (on a soustrait le de) de Zudquerque, dont le zèle a déjà été apprécié, de venir faire la chasse aux loups « .

Au plus fort de la Terreur, elle ne fut donc plus inquiétée et continua désormais de chasser.
Sous l’Empire napoléonien, signes de vieillesses apparaissant, elle cessa de pratiquer sa passion favorite. Ses dix dernières années furent consacrées aux souvenirs de ses grandes parties de chasse qu’elle organisait. Elle était fière d’en raconter les péripéties, disait-on !
Un mémorialiste estima qu’elle tua près de huit cents loups au cours de sa longue carrière ; son biographe disait qu’elle avait la réputation d’en avoir tué exactement 767 !
Ceci étant dit, ses dernières années, se passèrent à des occupations plus paisibles ; elle travaillait dans son atelier de menuiserie, et tressait le fil de fer pour pratiquer des volières.
La Baronne de Draëk avait une femme de chambre qui était un peu sa réplique. = La  » fameuse Caroline  » était son piqueur, ne portait que des vêtements masculins, et sonnait la trompe ; à ce sujet, vers 1820, sa maîtresse l’envoya auprès d’un général commandant la  » Place de Boulogne-sur-Mer  » pour faire apprendre à son ordonnance, à jouer de cet instrument.
Le 19 janvier 1823, Marie-Cécile-Charlotte de Laurétan, Baronne de Draëk, s’éteignit à sept
heures du matin dans son château de Zutkerque à l’âge de soixante quinze ans.

Acte de décès de la Baronne de Draëk, le 19 janvier 1823

N’ayant pas de descendance directe, ce furent ses neveux, Charles Hubert-Marie d’Artois de St-Omer et Hubert Joseph-Marie d’Artois de Cocove de Recques-sur-Hem3, commune voisine de Zutkerque qui veillèrent aux funérailles de leur tante.

Pleurée par ses serviteurs et notamment par sa Caroline, regrettée par les habitants du pays, ce personnage à la réputation légendaire dans tout le département, ainsi que dans la Flandre Maritime, laisse des souvenirs que personne n’oublia jamais. Plusieurs décennies plus tard, on évoque encore son passé, ses faits, ses chasses…
Cette célébrité cynégétique passait pour être une originale et une femme hors du commun ! On la critiquait chez les nobles pour ses allures masculines, ses excentricités, sa passion excessive de la chasse. La population et certaines autorités la défendaient pour son courage. Car il ne faut pas oublier qu’elle fut la seule personne à débarrasser une grande partie du Nord de la France des bêtes féroces qu’étaient les loups.

Au pays du Brédenarde, de père en fils et notamment à Zutkerque, on se souvient encore de cette  » virago « . Les anciens du village racontent avec fierté le passé de cette femme en s’écriant :  » Oui, c’était quelqu’un ! « 

Philippe MAY

C’est le frère Bernard-Marie Albert, moine de l’Abbaye Saint-Paul de Wisques qui est l’auteur des dessins illustrant cet article. Ils sont entièrement l’œuvre de son imagination… et de son talent.